Un Livre Que J'ai Lu (16) : Tous Sports Confondus ( Frigyes Karinthy)
Le gagnant sera un singe ! (p29) Ces quelques mots en disent long sur la pensée de l’auteur concernant les sportifs. Ironiquement si le nageur américain ultra médaillé, Johnny Weissmuller, endossa le rôle du très mythique homme singe (1), dans 12 films (p38), Frigyes Karinthy, l’auteur, nous mène à penser que le sport est devenu une farce vouée essentiellement au culte du corps. Le corps parfait attire le corps parfait, l’eugénisme est en place et en 1936, l’athlète noir américain Jesse Owen, ridiculisera, à Berlin, la race blanche lors des jeux olympiques (p62). Cette humiliation devint certainement un facteur thymotique chez le führer, la mécanisation collective et l’hyper performance fournirent, entre autres, quelques preuves consolatrices de la supériorité de la race allemande! Ainsi le 4 juillet 1910, à Reno, dans le Nevada, le boxeur blanc Jeffries, champion du monde poids lourd, décide d’affronter un boxer noir dans le seul but, suivant ses dires, de prouver qu’un homme blanc est meilleur qu’un « nègre » (p70). Mais c’est Johnson, le noir, qui vainquit ce jour-là. Si donc, notre auteur, né juif, pose le problème de l’eugénisme à travers un discours imaginaire entre Socrate et un coureur à pied finlandais (2), c’est qu’il pressent un monde qui veut renouveler l’ensemble de l’humanité par la production d’individus beaux et sains (p47). Le sport étant l’un des moyens de discriminer les chétifs et les faibles, Karinthy, se jugeant lui-même insuffisamment développé et maigre (p21), finira par avouer que le sport empêche bien l’humanité de s’immerger dans la poésie (p34).
Un article du Monde, daté du 30 mai 2018, accorde un entretien à Toni Nadal, oncle et ex-entraîneur du champion de tennis espagnol du même nom. Les propos du coach révèlent l'état du sportif en ce début du XXIème siècle. "Je n'aime pas le sport pour le sport.", dit-il avant d'ajouter "Je conçois le sport en général comme un complément de l'esprit.". Pour Toni Nadal, le sport doit être compris " à la manière des grecs dans l'antiquité", il se désole de l'absence de stratégie et de raisonnement tout en constatant amèrement la domination de la politique du résultat qui à ses yeux fausse la beauté du jeu et l'élégance du corps en mouvement. Il valide par la même occasion l'expression de Karinthy sur les lourdes offenses faîtes aux athlètes de l'esprit (p63). D'ailleurs, le titre de l'article du monde "Les joueurs ne réfléchissent plus" aurait certainement été accrédité par Karinthy lui-même. Et il faut savoir que les 10 textes rassemblés dans ce livre ont d'abord été édités dans des journaux entre 1912 et 1936.
Indéniablement l’auteur hongrois possède un argumentaire solide, les amoureux du sport, autour d’une bière ou en piste, seront presque dans l'incapacité de contre argumenter tant leur propre culture se cantonne le plus souvent aux limites de la discipline qu’ils ont choisis. Combien d’entre eux peuvent disserter sur les exploits de Miklós Zrinyi, dont la charge héroïque menée contre Soliman le Magnifique, en 1566, ferait bien rougir les coureurs en culotte courte qui sprintent sur des pistes brossées avec attention afin qu’aucune aspérité ne viennent gêner la pose de leurs chaussures, lesquelles auront été spécialement conçues pour leur faire gagner le maximum de millimètres à la seconde. Et pendant ce temps-là, aucun des spectateurs n’aura eu conscience que durant cette même seconde, des centaines de galaxies se seront déplacées de plusieurs centaines de kilomètres. C’est dire que les orbites formées par les tours de terrains, forment réellement des mini systèmes solaires dont le seul intérêt est d’offrir à ce monde matérialiste le triomphe de la performance lilliputienne, dont les chroniques sportives qui s'en suivront, offriront là un moyen à l’industrie d’encourager la compétition, c'est donc la guerre de tous contre tous. C’est le triomphe des plus forts et ces héros à la fière musculature et aux nerfs d’acier (p64), arboreront tranquillement sur leur torse, les slogans publicitaires du marché. Et pendant ce temps-là, on aura oublié la force physique et l'endurance de Jacob qui servirent à combattre l’ange du Seigneur, tout un jour et toute une nuit (p79). Pour cela, Yahvé, lui donna le nom d’Israël. L'autre épisode biblique où Samson, dont la force herculéenne eut raison, à elle seule, de milliers de philistins, mériterait beaucoup plus d'attention de la part d'un public qui n'a d'historique que sa date de naissance!
Pour finir, et pour la petite histoire, la préfacière Cécile A.Holdban paraphrase un monument de la littérature catalane, à savoir Miguel de Unamuno, afin de cerner la psychologie de Frigyes Karinthy. Ainsi, l'auteur hongrois est, selon notre préfacière, habité du sentiment absurde de la vie, on reviendra par ailleurs et ultérieurement sur l'auteur espagnol dont la philosophie demeura essentiellement tournée vers un sentiment catholique de la vie, lequel préserve cette soif de l'immortalité de l'âme et qui, dans un siècle scientifique et rationnel, apparaîtra comme absurde. Tout naturellement, cette dichotomie trouvera sa résonance dans Don Quichotte de Cervantès, où Don Quichotte et son inséparable écuyer Sancho Panza représenteront respectivement le croyant et la raison terre-à-terre.
Antoine Carlier Montanari
(1) Tarzan
(2) Paavo Nurmi, sportif finlandais