Un Livre Que J'ai Lu (14) : L'Or Du Temps (Michel Bounan)
L'auteur intronise son livre avec une très courte réflexion emprunté au philosophe allemand Arthur Schopenhauer et qui se retrouve en substance et entre beaucoup d'autres chez Charles Baudelaire, Mark Twain, Ernst Jünger, René Girard et Howard Bloom. Cette réflexion aborde la notion fondamentale de l'instinct animal présent dans la nature humaine, et qui pousse l'être à privilégier les besoins immédiats de la chair. A partir de ce postulat Michel Bounan affirme comme la démontré Howard Bloom dans son ouvrage "Le principe de Lucifer" (ici), que la biologie moderne a constaté que les êtres vivants étaient naturellement disposés à la prédation (p11). Michel Bounan précise la chose à la même page,
"Tous les êtres vivants sont des prédateurs et l'animal humain est "naturellement" un prédateur."
Une nouvelle fois le marquis de Sade sert de référentiel et comme dans l'ouvrage de Pierre Klossowsi, "La monnaie vivante" (ici), il illustre cette prédation à l'oeuvre à travers la lubricité. En effet le personnage est l'aboutissement raffiné de cette nature défectueuse qui agit selon la chair avec l'esprit des Lumières. Tout naturellement les moralistes vont accroître la pression sur cette structure anatamo-physiologique de l'animal humain (p12), et cette tension exercée est le produit d'un héritage religieux, revendiqué ou non (p14). En effet la Révélation au sens spinoziste apporte des règles de vie qui conduisent à une correction comportementale et qui est parachevé par l'enseignement du Christ; l'intérieur de l'être étant désormais en phase de restauration rapide. De telles prescriptions, additionnées à celles des grecs anciens, effacent la condition d'animalité de l'humanité.
Mais ceux que l'on a appelé les "Lumières" (p15), ont mené un sérieux combat contre cet enseignement de la sagesse afin de détourner l'humanité de sa destinée dans le Christ. Tout ce qui freinait autrefois les instincts lubrique de l'homme, a été en quelques décennies évincé sous une écorce vertueuse de tolérance toute azimute. Mais pour autant les paradis artificiels n'ont délivrés que des éphémères espérances et outre les propos circonstancier de Charles Baudelaire dans ses fleurs du mal, la réflexion du poète Heinrich Heine, couchée par écrit dans ses lettres sur l'Allemagne, résume parfaitement cette déconstruction spirituelle opérée par les Lumières,
"L'anéantissement de la foi dans le ciel a une importance non seulement morale, mais aussi politique. Les masses ont cessé de porter leur misère terrestre avec la patiente du christianisme, et aspirent à la félicité sur cette terre."
Tout naturellement le Capital devint ce génie qui réalise tous les souhaits tout en faisant entrer le monde dans une immense arène voué au culte du corps et de la marchandise. Guy Débord nommera cela la société du spectacle (ici) où le spectacle est l'image de l'économie régnante (2). A ce propos, Michel Bounan a entretenu une correspondance avec ce dernier. Sans surprise donc, la lecture de L’or du temps s’appuie sur les réflexions de Guy Debord.
Ainsi, Michel Bounan, tout comme René Girard par ailleurs, pressent qu’une destruction planétaire provoquée par cette nature prédatrice est inévitable (p21). Etant donné que la démocratie offre à cette nature prédatrice des possibilités de gestion narcissique, on obtient nécessairement une gouvernance qui adopte non point le point de vue de la sagesse mais bel et bien le point de vue du plus grand nombre. L'idée même de la démocratie peut-être donc tenu en horreur par les moralistes car c'est le triomphe du "je" narcissique dont les pulsions animales le pousseront indubitablement à servir la chair plutôt que l'esprit. L’auteur insiste donc sur le "je" égoïste et orgueilleux qui se sert d'une législation sociale avancée pour avancé masqué. Cette disposition sociale, outre les bienfaits qu'elle apporte, tant qu'elle ne se réfère pas à la charité suivant la vérité révélée, demeure dans les lumières des Lumières. C'est pourquoi la qualité du "je" dépend du "je" christique, du "je" solaire qui est le Saint-Sacrement (p35). Aussi, précise Michel Bounan, la mangeoire pleine de paille dans laquelle est posée l'enfant Jésus annonce déjà l'image de ce "je" solaire visible à la fois sur la croix et dans la résurrection et dont la présence rend visible au monde le Dieu vivant. Pour ceux qui ne comprendraient pas ce passage à la Lumière véritable du Dieu vivant, qu'ils se réfèrent aux Lumières de la révolution citées plus haut. Car il faut comprendre que ce "je" biologique est plus physico-chimique que lumineux, c'est la manifestation, depuis le fruit prit sur l'arbre du jardin d'Eden, du subjectif luciférien. Le fruit a contaminé le "je" solaire d'origine et l'a rendu tout aussi nerveux qu'instable, l'alchimie complexe de secrétions hormonales tend l'être à devenir animal. C'est le revers de la médaille nous dit Michel Bounan à la page 29, sachant que l'avers de cette médaille est le "je" solaire, c'est l'or du temps.
A ce propos, l'auteur évoque le cas du mystique persan Mansur al-hallaj qui fut condamné à mort et crucifié pour avoir publiquement proclamé au Xème siècle de notre ère "Je est Dieu" (p35). Les gardiens de la loi islamique de l'époque ont donc réitéré en quelque sorte le procès du Christ car au delà de la proclamation de Mansur al-hallaj, le "je" qui joint la vérité à l'homme est une unité intolérable puisqu'elle manifeste Dieu dans l'être. En effet cette parole qui s'inspire de celle du Christ "Je suis le chemin, la vérité, et la vie." (Jean 14:6), proclame une unité mystique avec Dieu que l'Islam, pour des raisons liées à l'influence, sur le prophète Mahomet, du moine nommé Bahira, et qui faisait partie de la secte des nestoriens, des chrétiens qui niaient que Jésus était le Fils de Dieu (1), ne veut admettre. Ce "je" qui cherche l’éternité, l’or du temps, cherche à s'émanciper du parrainage de celui qu’on appelait autrefois "le prince de ce monde" (p41). Rempli par cette volonté toute personnelle et égoïste, ce "je" va s’imposer au XXème siècle comme un "je" luciférien pour mettre en avant la partie médiocre de l'être. Fatalement tous ces "je" médiocres s'additionnent pour devenir une majorité qui dispose alors de la démocratie pour imposer à toute la société la médiocrité. La démocratie meure alors faute d'avoir une addition de "je" dépouillé de sa nature médiocre.
Les temps modernes sont alors empreints d'une psychologie du désir égoïste encadré par une législation laïc où se combine une pensée chrétienne devenue folle et un matérialisme individualiste qui mesure la qualité d'un individu à son compte en banque. Ainsi si le bien être psychologique d'un individu dépend de la valeur de son compte en banque, et au regard de l'axiome de Bacon et de Montaigne sur le gain et la perte, ce que l'un gagne l'autre le perd nécessairement, ce même individu devient malgré-lui un super prédateur (p53). Non pas que l'homme ne le fut pas avant, mais depuis la mise en lumière de ce nouvel état psychologique initié par le Christ, l'homme a reconfiguré son "je" pour en faire un "je" altruiste. Le christianisme a alors imposé une nouvelle tendance dans l'histoire de la psychologie humaine et qui trouve son apothéose dans les figures tutélaires catholiques telles que celles du pape Jean-Paul II et de mère Térésa au moment même où la culture de mort domine le monde. A ce stade de l'évolution psychologique de l'humanité, les moyens de destruction planétaire placés entre les mains des législateurs zélés de l'avortement, rendent possible l'anéantissement totale de cette humanité. Michel Bounan ne tergiverse pas, voilà ce qu'il affirme à la page 54,
"Ce prédateur moderne est un faux monnayeur et un imposteur. Son œuvre de faussaire aboutit aujourd’hui au désastre dans lequel nous nous précipitons."
L’auteur ne mâche donc pas ses mots, à la page 55 il poursuit, Les preuves en sont aujourd’hui surabondantes : l’animal humain est bien proche maintenant de détruire le monde et soi-même. Que dire donc de plus, l'auteur est dans la droite lignée de l'académicien René Girard, l'apocalypse est bien évidemment la révélation de ce mécanisme dévoilé par le Christ dans le jardin de Gethsémanie lorsque Pierre coupe l'oreille du soldat avec son épée. La non violence absolu est donc le remède absolu dans une humanité qui possède une puissance de destruction illimitée. Mais pour convenir de cela il faudrait que cette humanité fasse sienne cette leçon du Christ à Pierre,
"Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée." (Matthieu 26:52)
Antoine Carlier Montanari
(1) Jésus et Mahomet, Mark A.Gabriel, éd.OURANIA, p51