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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

08 May

Le Dessous Des Toiles : Notre Dame De Paris (Jean Delannoy)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Le Dessous Des Toiles

         

 Après avoir longuement commenté la scène entre madame de Clèves et le Duc de Nemours, dans le long métrage de Jean Delannoy, une autre scène, celle-ci dans Notre Dame de Paris du même Delannoy, peut produire les mêmes effets. La cloison est mince entre les deux représentations, la méthode est soit inconsciente et naturelle ou elle peut résulter d’une sérieuse réflexion. Dans tous les cas il semble que ce soit de coutume chez le réalisateur, à vrai dire, il n'est rien que le talent n'est oublié de provoquer, même inconsciemment. Là-dessus, dans la scène où Frollo espionne Esméralda, qui ardente de désir pour Phébus, se laisse embrasser, la mise en scène préfigure la fin dramatique de l'histoire. La virilité de Frollo est ici mise à l’épreuve, lorsqu’il travaille entre les murs de la cathédrale, il est sous la protection de la Vierge Marie, c'est l’affection et l’amour d’une mère qu’il reçoit ainsi. Cet amour maternel le fortifie, le rassure, tandis qu’Esméralda, la charmeuse, l’excitante, la tentatrice, la séductrice, la flambeuse, celle qui fait perdre pied en dansant et qui attise le regard pour le mettre sous l’effet du plaisir et de la jouissance, l’affaiblit, elle l’ensorcelle et exige en quelque sorte de lui qu’il se comporte comme un homme, et cet homme ce sera en effet Phébus. Frollo est dans l’angoisse, il se sent vaincu par la jeune bohémienne comme Aristote l’était par Phyllis, la belle courtisane. Frollo se méfie donc d’Esméralda parce qu’elle illustre parfaitement l’humiliation de la raison. Frollo est sous son emprise, la vue de cette femme qui danse, qui bouge son corps et qui oscille pour amplifier l’excitation, apparait comme un désir à assouvir. Et celui qui va l’assouvir c’est encore Phébus. Frollo aperçoit les deux amants s’enlacer, la fenêtre ouverte de la petite mansarde où se situe l’étreinte, est le lien entre l’intérieur et l’extérieur, entre la femme et l’homme. Frollo est ici l’observateur invisible de l’intimité. Il n’est pas sans dire que la jeune danseuse s’est postée au rebord de la fenêtre avec toute l’impudicité que requiert la femme fatale. Elle se montre au monde pour que le monde l’aime, elle ne laisse rien caché de sa beauté, en vain, Frollo ne peut que succomber. Ainsi, l’indulgence peut être partagée, il faut dire qu’il est difficile d’éprouver de la sympathie pour l’alchimiste, mais pourquoi n’accorderait-on pas la même indulgence que celle que l’on accorde à l’arrogant Phébus, ce dernier profite pleinement des facilités que la nature lui a accordé. Bien sûr, dans l’histoire, Victor Hugo a fait de Quasimodo le véritable héros, il a hérité de Frollo son caractère et de Phébus le courage et la noblesse qu’inspire son rang. Il est donc tout naturel que ces trois hommes soient amoureux de la même femme, c’est pourtant avec le jeune poète, Pierre Gringoire, qu’elle va se marier. Victor Hugo illustre ici parfaitement ce que René Girard a nommé le désir mimétique. Lequel est essentiellement lié au dixième commandement, « Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain ». La rivalité mimétique engendre la violence et la mort, parce que le non-respect du bien d’autrui engendre l’injustice. La femme ne peut se partager, tout comme l’enfant dans le jugement de Salomon. Non seulement le sang finit par couler mais on a profané impunément la vie. Encore faut-il que cette ablation soit comprise pour expier convenablement la faute, car cette profanation n’est pas la même dans chacun des regards. Pour Frollo, Esméralda est impure, pour Phébus elle n’est qu’un jouet et pour Quasimodo elle est la grâce même. Chacun la désire à sa manière mais chacun la veut quand même malgré l’interdiction morale engagé par le mariage. Cela suffit à démontrer que la volonté de l’homme est toujours commandée par ses désirs. Ainsi, l’incursion de Frollo à la fenêtre traduit le penchant spontané de l’alchimiste pour Esméralda, il ne peut y avoir deux prétendants, Frollo poignarde Phébus pendant son baiser. Ce que dit René Girard se vérifie donc là de manière exemplaire, « …si nous aimons la même femme nous sommes ennemis (1).» Frollo introduit sciemment sa lame dans le dos du chevalier et s’introduit lui-même dans la chambre de la bohémienne, assurément cette double pénétration peut faire penser à un viol. La violence, le sang, l’amour, ce qu’illustre également le Titien ou encore le Tintoret dans leurs œuvres Tarquin et Lucrèce. Le viol et la mort de Lucrèce préfigure ainsi la mort d’Esméralda par une flèche. En filmant ainsi le poignard sur la marche devant le regard de Frollo, Jean Delannoy définie l’image de la violence qui anime l’alchimiste. Ainsi, au jugement d’Esméralda, il n’hésitera pas à mentir pour qu’elle soit condamnée à mort. Frollo se comportera comme la fausse mère au jugement de Salomon, il préfèrera voir mourir l’objet de son désir plutôt que de le perdre.

Antoine Carlier Montanari

 

  1. René Girard, p57, les grands entretiens d’Artpress
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