Le Dessous Des Toiles : Lolo (Julie Delpy)
La situation est on ne peut plus claire, la chirurgie opérée par la réalisatrice réintègre allègrement tous les revers sociologiques de notre époque. A vrai dire les dialogues sont tout particulièrement impertinents, mais rien de véritablement choquant, exceptés pour les amoureux du cinéma muet. Le film de Julie Delpy correspond donc à une réalité sociologique extrêmement avancée sur le plan amoral, la réalisatrice aime à enfoncer le clou pour paraître à la page. En effet Julie Delpy et son amie Karine Viard n'ont pas leur langue dans la poche à propos du sexe et de ses joies. Toutes les deux prennent malin plaisir à parler crûment de ces choses-là, c'est une espèce de psychothérapie entièrement consacrée au sujet. En termes de psychanalyse je ne saurais dire si nous n’assistons pas là à l’affaissement de la féminité ou à une masculinisation de la féminité, du moins une sensation d’écroulement de la femme, caricaturée ici de manière vulgaire et outrancière et qui bien au contraire de la prostituée dans l’évangile, fait passer la femme pour une belle garce. Bien entendu la réalisatrice n’a pas le regard de Monet ou de Degas, mais il faut dire que l’image de la femme a bien changée, Julie Delpy, en tant que femme hyper libérée a tout naturellement choisi de souligner cette évolution.
La réalisatrice a donc mis en scène une sorte de quatuor désireux de trouver l'épanouissement par la concupiscence. La méthode produit d'effroyables tirades destinées spécialement à faire passer le film au statut de comédie avant-gardiste. Ainsi le nombre des convertis à ce système finit par posséder une dynamique existentielle très proche d'un nouveau fondamentaliste païen. D'une manière générale Julie Delpy ne transgresse plus rien, s'il est exact que de telles mises en scène sont courantes aujourd'hui, il faut dire qu'il existe également une coresponsabilité pédagogique envers les jeunes générations. Surtout quand l'élève acteur qui interprète Lolo joue le personnage le plus subversif. C'est donc par lui qu'arrive tous les déboires. Ce jeune homme a très rapidement compris le principe moral de la gauche et si on fait l'inventaire précis de ses travers on n’aura aucune difficulté à identifier l’état de son âme. On comprend alors qu'elle fut son éducation, sans doute qu’il a mimé la façon de vivre de sa mère, l'absence du père n'a fait que soustraire le réflexe de responsabilité, d'ailleurs la construction anarchique de ses peintures donnent un bon aperçu de ce qui siège dans son esprit. La question du désordre pictural témoigne d'une grande incapacité à cerner le réel, le chaos qu'il peint provient plus de réflexes et de moments d'excitations sensoriels, de mouvements spontanés et aléatoires, que d'une rigueur orchestré par un esprit équilibré et émotionnellement exigeant.
Tout cela est fort instructif, le film nous oriente ainsi vers une nouvelle libéralisation des désirs, qui est perçu ici comme méritoire plutôt que moralement mauvais. La réalisatrice gesticule ses personnages afin d'éviter la prise de conscience de la nature réelle des maux et de leur essence profonde. Cette nouvelle culture du péché joue donc les ignorantes, les conséquences sont bien évidemment désastreuses, les personnages n'ont pas encore appris à discerner les mauvais penchants en s'abandonnant allègrement aux comportements du moment. Le calcul est simple, les participants ont élevé l'art de jouir comme une nécessité vitale. L'épicurisme, l'hédonisme, sont désormais des modes de vie privilégiés dans une société post chrétienne. En se refusant à comprendre l'alternative évangélique, la réalisatrice célèbre l'ascension du libéralisme sexuel, et on aurait tort de se réjouir car l'auteur d'une telle discipline a énormément à gagner à ce jeu-là. Il faut dire que Julie Delpy s'arrange pour disséminer par ci, par là, quelques signes de sa présence. Elle ne se doute peut-être pas, et c’est là le véritable drame, des libertés qu’elle se permet de prendre en jouant à ce jeu. C'est une question de visibilité, on l'oublie souvent mais le diable se cache souvent dans les détails, les économistes le savent très bien mais admettons que la réalisatrice en ignore l'adage elle faudra qu'elle nous explique pourquoi elle prend la peine de disposer accessoirement le mot "Hell" et le nombre 666 dans quelques-uns de ces plans. Certains diront que c'est par provocation, d'autres par légèreté ou par bêtise, dans les trois cas cela requiert beaucoup de prudence quant à l'usage de tels signes. Mais à cela, s’il faut chercher un peu plus loin, nous retrouvons, dans une autre mesure, dans celle du dialogue, une curieuse tirade de Churchill. Lolo, allongée nu entre deux jeunes demoiselles, la cite en anglais : " Si vous traversez l'enfer continuez d'avancer.". Cette analogie est intéressante, Lolo est en infraction morale lorsqu'il la prononce, à ce moment il complote contre le petit ami de sa mère, Dany Boon. Son idée consiste à mettre les deux jeunes donzelles dans le lit du prétendant. De ce point de vue, il n'est pas difficile de percevoir la mécanique instinctive de la réalisatrice, si elle est en quête de mots et d'expressions à caractère diabolique elle mène certainement sa propre guerre contre le modèle de sainteté. Cette référence historique est le plus sûr exemple d’une certaine éducation intellectuelle, il est vrai qu’à cet âge on ne cite pas Churchill sans avoir quelques idées derrière la tête. En se référant ainsi à l’histoire avec une grande décontraction, et une joie perverse sur le visage, on peut discerner les forces qui agitent l’âme de Lolo. Bref, on a l’impression que ce jeune homme cache une douleur qu’il entend reproduire chez les autres. Au-delà du désir de chasser les hommes qui courtisent sa mère, on peut se demander si inconsciemment il ne réalise pas le travail de la grâce en empêchant sa mère d’avoir des relations, qui du point de vue de la morale traditionnelle, seront qualifiées d’adultères. On pourrait bien entendu comprendre cela à la manière qu’à Lolo de percevoir le mal et le péché, puisque lui-même officie magistralement dans ce registre. Connaissant fort bien ses vices il est en mesure de le percevoir chez les autres. Ainsi Lolo, assure la fidélité de sa mère à son père et si les désastres qu’il provoque pour en arriver là sont perçu comme des évènements malheureux c’est uniquement du point de vue de l’égocentrisme de sa mère et donc de la réalisatrice qui ne voit que dans les relations qu’elle peut avoir avec les hommes le plaisir lié à leur sexe.
Assurément, le sentiment que m'inspire cette comédie sentimentale est carnavalesque et on ne voit pas comment un sociologue sérieux pourrait ne pas réaliser l’échec des mœurs d’aujourd’hui. Mais ici, comme ailleurs, le déploiement intempestif de situations grotesques cachent en réalité une culture antisociale et manifestement orientée à gauche. Et il faudrait, d’après ces idées admises, accepter les mœurs d’aujourd’hui comme un progrès moral auquel on s’engagerait commercialement pour satisfaire la nouvelle psycho politique qui a permis le rapprochement du capital et du socialisme. Mais quel que soit l'interprétation que l'on puisse porter sur le film, celui-là comme beaucoup d'autres, ont comme origine un mépris complet de la morale évangélique. C'est une coutume qui fait désormais office de passeport artistique. Arguties, appétences, oisiveté, fornication, vulgarité, logorrhée, toutes ces dénominations forment un système de prescription obligatoire. Dans cette atmosphère subversive et mûrement réfléchie, le bien n’est pas édicté dans l’intérêt de l’âme mais plutôt dans celle du corps. L’humour est ici le costume allégorique de l’avidité et la réalisatrice ne rechigne pas à transformer en divertissement une politique du vice.
Antoine Carlier Montanari